
« Je m’appelle Jérôme. J’ai 45 ans, je suis marié et j’ai quatre enfants. J’ai beaucoup de chance dans ma vie. Une chance doublée d’un luxe : j’aime mon travail, mes 40 collaborateurs et ce que nous faisons ensemble. Je suis chef d’entreprise, une responsabilité que j’adore, mais soudain…
Dix années ont passé depuis la création de mon activité. Des périodes passionnantes, chargées parfois, légères d’autres fois, puis ce sentiment étrange, mêlant celui d’une étape franchie, d’une fatigue agréable et accomplissante qu’il convient cependant d’écouter…
À cette question : « Quel temps pour moi aujourd’hui ? », très vite m’est venue la réponse d’un temps gratuit, anonyme, ce « rien qu’à moi » qui au contact de L’Arche Le Sénevé se transformera en « rien d’autre que ça ». Pendant six mois, rien que deux jeudis matin par mois au sein du Sénevé, auprès des amis de l’Oasis [un des foyers du Sénevé, NDLR]. Des amis fragilisés par le temps, celui du handicap, celui de l’âge, celui de la fatigue. Mon contrat est simple : je fais ce qui est utile au moment où j’arrive. Ce sera le ménage, après, le petit déjeuner des amis, dont les horaires varient à la douceur des accompagnants.
« Être là, rien d’autre que ça »
Un temps coupé qui me rend maître de l’observation de l’autre ou plutôt du temps de l’autre… La pendule nous a rendus fous d’exigence. Alors quand je me retrouve sans tâche, au détour d’un mouvement de calme, Kinga, assistante à l’Oasis, me répond : « Tu es là ». C’est dit. Être là, rien d’autre que ça…
« Leur temps m’est proposé comme un instant qui ne trouve aucune autre rentabilité que celle d’exister. »
Jeannine, sourire permanent au visage, n’a absolument aucune notion du temps. Toute la maison s’affaire, dans la moindre tâche, à lui montrer son minuteur. Il paraît que sans lui, elle pourrait se laver les dents pendant toute une matinée. Pas d’impatience. Voilà l’amour dans le logement inclusif, avec toujours cette considération du « temps de l’autre ». Didier, atteint de trisomie 21, a cette particularité de recommencer sa vie chaque matin. Reconnaître l’autre, faire sa connaissance, doucement, patiemment, au gré du temps et des humeurs. Recommencer à écouter chaque matin ce temps. Là, ici et maintenant : je me sens moi. Le temps ne m’atteint pas, le leur m’est proposé comme un instant qui ne trouve aucune autre rentabilité que celle d’exister.
Mon aventure à moi
Je pourrais vous parler de ce retour merveilleux au travail après une matinée au Sénevé. De ce calme qui m’accompagne malgré une tension qui monte et d’un agenda qui n’aime pas trop ce genre d’aventure. De ce regard bienveillant de mes collaborateurs qui ne savent pas où je suis (seules trois personnes en sont informées), de la gentillesse de mon « N+1 » (il fait partie des trois !) à l’annonce de ce projet. Mais c’est mon aventure à moi, elle fut simple, facile, peu engageante, gratuite, au regard du temps et de l’amour de ceux qui consacrent leur temps aux plus fragiles : les assistants, les bénévoles, les gens de passage. Rien d’autre que ça. C’est tellement, si vous saviez ! »