
Erik Pillet, fondateur et responsable de L’Arche en Pays toulousain pendant ses huit premières années, a pris sa retraite fin juillet 2020. A cette occasion, il revient sur son parcours et sur ce que L'Arche lui a appris, autant professionnellement que personnellement. Un témoignage riche d'enseignements.
Q – Comment as-tu rencontré L’Arche ?
C’est en 1978 que ma route a croisé celle de L’Arche pour la première fois. J’étais en 2e année d’études dans une école de commerce, et sur les conseils d’un ami, je suis allé passer un week-end à Trosly. Je me posais des questions sur mon avenir, sur ma foi aussi. J’ai découvert un lieu formidable où il y avait beaucoup de joie et de simplicité. J’y suis retourné plusieurs fois durant l’année. Je n’avais rien à voir avec le monde du handicap mais j’ai été très frappé et touché par la rencontre avec les personnes accueillies. Dans mes études, je me destinais à une spécialisation financière, mais la rencontre avec L’Arche m’a fait bifurquer vers une option en lien avec l’humain, la gestion du personnel.
A la fin de mes études en 1981, je n’avais pas vraiment envie de travailler en entreprise, je voulais un engagement social. J’ai décidé de donner mon temps à L’Arche. On m’a envoyé en Charente comme assistant du foyer La Sève de Cognac et comme responsable de l’atelier menuiserie de La Merci. Cette année a été fondatrice et j’y ai noué des liens forts qui ont perduré. Au bout de presqu’un an, je me suis dit qu’il fallait quand même que je me frotte à autre chose, et notamment au milieu de l’entreprise pour lequel j’avais été formé.
J’ai donc commencé une longue carrière dans l'industrie, dans les ressources humaines. Mon dernier poste a été celui de DRH d'Airbus, à Toulouse.
Q – As-tu conservé des liens avec L’Arche quand tu étais dirigeant d'entreprise ?
Lorsque j'ai été nommé à Angoulême, au début des années 1990, j'ai repris des relations plus fréquentes avec les communautés de Charente. Et je ne suis pas peu fier d'avoir été nommé premier président de L'Arche Les Sapins, qui devenait à ce moment-là une association à part entière.
Mon deuxième enfant, Pierre, est né là-bas. Il porte un handicap mental que nous avons découvert dans sa troisième année. Cela a bien sûr été difficile pour ma femme et moi, mais le fait d’avoir connu L’Arche avant sa naissance m’a permis d’accueillir Pierre dans l’espérance plus que dans la souffrance. À L’Arche, j’avais pu constater que les personnes handicapées pouvaient avoir une vie heureuse.
Durant ma carrière, je suis resté au service de L'Arche dans la mesure du possible avec mon emploi du temps chargé. En 1990, on m’a demandé d’être président de L’Arche en Afrique, qui était une « zone » internationale à l’époque. Mon rôle était de soutenir la responsable de zone, les conseils d’administration locaux et de trouver de l'argent. Puis, après une pause de quatre ans, j’ai été nommé président de L’Arche en France en 2004, jusqu’en 2011.
Q – Comment est née L’Arche en Pays Toulousain ?
En 2004, mon épouse Véronique et moi avons rencontré un groupe de personnes souhaitant ardemment que L’Arche ouvre une communauté dans la ville rose. En 2005, nous avons organisé une réunion exploratoire. Plus de 150 personnes sont venues, très enthousiastes à l’idée de fonder une communauté. Véronique et moi nous sommes sentis véritablement appelés.
En avril 2006, nous avons créé l’association L’Arche en Pays Toulousain, aidés très vite par un comité de soutien et des partenaires. Puis j’ai quitté Airbus et je me suis consacré au projet tout en travaillant comme consultant indépendant pour faire bouillir la marmite.
Nous avons mis six ans à ouvrir la communauté, ce qui est plutôt rapide. Nous étions portés par la confiance… Quand je regarde ce projet et ce qu’on a vécu, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il y a eu « quelqu’un » derrière nous… Tout s’est déroulé à peu près comme on voulait : nous avons récolté suffisamment d’argent, nous avons trouvé un terrain exceptionnel dès 2008 en plein centre de Blagnac, des blocages ont été levés, des rencontres adéquates ont eu lieu. Nous avons beaucoup travaillé mais nous avons senti que notre projet était « porté ».
La communauté a ouvert en mars 2012. Dès la première semaine, nous avons accueilli 40 personnes en situation de handicap sur les 44 prévus. Aujourd’hui, nous en accueillons 50 (voir encadré).
Q – Qu’elle est la clé de la réussite de L’Arche en Pays toulousain ?
Je crois d'abord que la taille relativement importante de la communauté, avec son projet d’Esat, a permis d’attirer des assistants salariés qui avaient pas mal de bouteille au sein de L’Arche. Moi qui avais peu d’expérience communautaire, j’ai pu m’appuyer sur une équipe de direction solide, pour que la communauté soit bien plantée dès le départ.
Venant de l’entreprise, j’ai toujours vu le travail comme un élément fondamental de structuration et d’ouverture sociales. Le restaurant, le maraichage… c’était important pour faire se rencontrer des gens différents, faire connaitre le handicap mental, témoigner que la « recette » de L’Arche fonctionne...
Nous avons aussi la chance d’être bien soutenus par la ville de Blagnac. Les Blagnacais sont très heureux de notre activité maraichère bio. Nous avons obtenu des terrains d’exploitation plus grands, avec un total de deux hectares et demi aujourd’hui. Nous vendons nos légumes sur les marchés de la ville et dans notre boutique.
Ce qui nous a beaucoup aidé à faire communauté, c’est notre restaurant. Nous avons fait le choix d’y manger tous les midis ensemble, externes et internes. C’est le lieu de l’unité, où ceux des foyers et de l’Esat se retrouvent chaque jour.
Je crois qu’un des ingrédients de notre équilibre, c’est que la communauté avait intégré dès sa conception, la dimension d’ouverture sur l’extérieur. Notre restaurant est ouvert au public. Nous accueillons aussi des séminaires d’entreprises. En moyenne et toutes activités confondues nous accueillons plus d’une centaine de personnes par semaine sur notre site. En ce qui concerne les séminaires, et compte tenu de nos différentes expériences (en particulier avec des équipes d’Airbus), je suis convaincu que ce que nous vivons à L’Arche peut apporter un vrai plus dans la manière de manager en entreprise.
Q - Qu’as-tu appris pendant ces huit années ?
J’ai vraiment découvert ce que veut dire faire communauté. Être une communauté, c’est d’abord expérimenter une vie et un travail ensemble. Eprouver ces relations au quotidien, prendre soin les uns des autres… c’est une expérience de relations réciproques. Ce fut d’autant plus fort pour moi que j’avais fondé cette communauté. Je m’y suis complètement investi, c’est une histoire personnelle.
J’ai expérimenté très concrètement que la vie partagée avec des personnes différentes, fragiles, me fait du bien. Le terme de « transformation » qu’on utilise souvent à L’Arche, j’en ai fait pleinement l’expérience. C’est un lieu privilégié pour être soi-même, parce qu’on n’a pas à être en compétition, à se montrer le plus fort, le plus beau. Je me suis senti simplifié et unifié.
On y fait aussi l’expérience d’une certaine limite, la limite des personnes accueillies, mais aussi de sa propre limite. On en tire d’autant plus profit que nous créons un cadre bienveillant et non jugeant.
Q - Et sur le plan professionnel ?
J’ai notamment découvert le champ du médico-social, qui est passionnant ! L’accompagnement des personnes, des projets personnels, les relations avec les psychiatres et les parents… j’ai appris énormément de choses.
Fonder et diriger la communauté de Toulouse s’est inscrit dans une continuité, voire un aboutissement, dans mon parcours, même si beaucoup ont été surpris que je passe de DRH d’Airbus à responsable d’une structure d’accueil de personnes handicapées. En réalité, L’Arche a été toujours un fil rouge dans ma vie. Et au bout de huit ans, je n’ai pas encore fait le tour.
J’ai beaucoup approfondi ma façon d’animer les équipes. Être à l’écoute, prendre des décisions plus collégiales, être dans une autorité de service plus que dans un exercice classique du pouvoir… Aujourd’hui, si je retournais en entreprise, j’exercerais mon management différemment, en étant davantage dans l’écoute, l’accompagnement et la confirmation et moins dans le contrôle et la mise sous pression, qui ne sont pas toujours gage d’efficacité. Créer les conditions pour favoriser la liberté de parole, l’autonomie et les initiatives, cela fait partie des ingrédients classiques du management. Mais ce n’est pas toujours facile à mettre en œuvre ! À L’Arche, j’ai pu l’éprouver. Je pense que l’expérience de la vie à L’Arche est riche d’enseignements pour les managers d’entreprises.
En tant que responsable, j’ai aussi été émerveillé de voir le chemin parcouru par les jeunes assistants grâce à cet environnement communautaire. Ils arrivent souvent plein de doutes, assez immatures, certains sont déjà cassés par la vie… ils sont véritablement réparés, et transformés.
Q - Est-ce que ces huit années t’ont fait découvrir d’autres choses sur les personnes en situation de handicap ?
Oui, évidemment. Ce que je dit sur la croissance des jeunes assistants vaut aussi pour les personnes accueillies. Je les ai vus grandir dans la confiance en eux, dans leurs capacités… Nous avons organisé de nombreuses formations pour nos membres handicapés, et cette vie communautaire axée sur l’écoute, la bienveillance et l’acceptation des différences porte vraiment des fruits pour tous. De manière générale, je suis frappé par leur courage et leur capacité de résilience.
L’une des clés est l’acceptation de son handicap, par la personne elle-même ou par sa famille. Ne pas l’accepter est un frein énorme à son bonheur et à l’explosion de ses potentialités. Parce que tu restes toujours dans la souffrance… cela vaut pour tout le monde, même ceux qui n’ont pas de handicap.
Le fait de révéler à l’autre sa beauté, ses qualités, tout en le menant vers la réalité, c’est très libérateur. Cela ne peut se faire qu’à partir de relations réciproques fraternelles. C’est le cœur du projet de L’Arche !
L’Arche en Pays toulousain en chiffres :
- 1 site central à Blagnac (jouxtant Toulouse) : le domaine classé de Maniban
- 3 foyers au total, dont situé hors du domaine
- 1 maison en habitat partagé en plein centre du vieux Blagnac
- 1 projet de lieu d’accueil et d’écoute (type GEM), le Parvis
- 22 personnes accueillies internes
- 28 personnes accueillies externes (Esat)
- 15 assistants internes
- 1 atelier de jour, « L’ATO »
- 1 ESAT : activités de maraichage, de sous-traitance, de restauration et de location d’espaces pour séminaires.
Photo © L’Arche en Pays toulousain – 2020