Dix jours après l’annonce des résultats de l’enquête de L'Arche Internationale révélant les agissements de son fondateur Jean Vanier, Pierre Jacquand, responsable national de L'Arche en France, nous livre un premier état des réactions qui ont pu être exprimées par les membres et les amis de L'Arche.
Q – Comment vous sentez-vous ?
Je me sens un peu fatigué, c’est certain. Et surtout encore ému. Faire connaître ce que nous avons découvert sur Jean Vanier, c’est un second choc qui se rajoute au choc des révélations elles-mêmes. Au fond, on découvre le poids d’un mensonge lorsqu’il n’en est plus un. Mais la mise en lumière des agissements du fondateur de L’Arche va créer des espaces de revitalisation, j’en suis convaincu.
Les communautés de L’Arche ont fait corps et nous avons senti combien nous étions unis au milieu de de cette tempête, avec une pensée tournée avant tout vers ces femmes qui ont eu le courage de parler.
Q - Comment l’annonce est-elle accueillie en interne, quels retours avez-vous des communautés ?
Les membres des communautés ont eu besoin de se retrouver autour de cette nouvelle, qui a été vécue un peu comme un deuxième décès de Jean Vanier. Dans chaque communauté, il y a eu beaucoup de discussions, de questions et d’incompréhension sur le comportement de Jean Vanier… Et aussi des interrogations sur l’avenir de L’Arche et des remises en question.
Parfois, l’annonce des résultats de l’enquête est venue en résonance de l’histoire personnelle douloureuse de certains assistants ou personnes accueillies. Cela a provoqué beaucoup d’émotion.
Les « anciens » de L’Arche, ceux qui ont cheminé depuis des décennies au sein d’une communauté, et qui ont parfois été proches de Jean Vanier, sont très fortement ébranlés. Ils avaient été nourris des paroles de Jean Vanier, soutenus par lui dans leur engagement, ils ne doutaient pas que Jean Vanier était un homme qui voulait le bonheur des gens autour de lui et particulièrement des personnes les plus fragiles, avec qui il avait choisir de partager sa vie. Et d’ailleurs, sur cet aspect de sa vie, nous n’avons pas élément qui pourrait remettre en question sa sincérité.
Q – Comment les personnes accueillies à L’Arche réagissent-elles ?
Beaucoup sont très troublées et dans la confusion. Le jour de l’annonce, l’un d’entre eux a dit : « Quand Jean Vanier est venu dans la communauté, il a touché ma main, est-ce que je dois porter plainte ? » Il y a donc un long travail pédagogique à faire. Jean Vanier cimentait L’Arche, même s’il n’était plus aux commandes depuis longtemps, et le cadre qu’il représentait a été ébranlé.
Comme très souvent, les personnes accueillies ont aussi été des soutiens au moment de l’annonce. Un responsable de communauté m’a rapporté que l’une d’entre elles est restée à ses côtés toute la journée, se souciant de savoir s'il allait bien, lorsqu’il lui a fallu révéler les agissements de Jean Vanier aux membres. Une autre personne a dit à une assistante : « si tu as besoin de moi, je suis là. »
Q – Et les familles, amis et partenaires de L’Arche ?
Pour l’instant, à quelques exceptions près, nous avons reçu un fort soutien. Nous percevons une confiance renouvelée, peut-être justement parce que nous avons engagé cette démarche. Ces encouragements, à vrai dire, nous font du bien.
Nous recevons énormément de messages de personnes qui expriment combien elles sont frappées par ce que ça révèle sur la cohabitation du bien et du mal. L’ombre qui habite la lumière travaille tout le monde en profondeur car elle dit quelque chose de l’être humain, de sa capacité à faire le bien, en même temps qu’il fait le mal.
Nous avons aussi des réactions négatives : certaines personnes sont dans une forme de déni et nous reprochent d’avoir soulevé le couvercle, d’avoir sali un grand homme. Nous les comprenons et ne les jugeons pas. Avec notre conscience, en équipe, nous avons fait ce qui nous a semblé juste et surtout ce que nous avons pu.
Q – Comment analysez-vous les réactions dans les médias et le milieu catholiques ?
Jean Vanier était un homme qui rayonnait. Pour certains, il y a dix jours, c’était un saint, et à présent, ce serait un monstre. Cette affaire fait miroir avec la société, pour qui, souvent, tout est noir ou tout est blanc. Mais pour notre part, à L’Arche, en vivant au contact des personnes cassées, abîmées par la vie, nous faisons l’expérience au quotidien de la complexité de l’être humain, et nous apprenons que ce n’est pas aussi simple.
Jean Vanier n’appartenait pas qu’à L’Arche, c’était une figure de référence pour de nombreux chrétiens. Certains croyants remettent aujourd'hui en question leur chemin de foi à cause de ces révélations. Cela nous attriste.
Q – Comment voyez-vous la suite, et notamment le regard porté par L’Arche sur Jean Vanier ?
Cela va prendre du temps, c'est encore difficile de répondre à cette question. Il est nécessaire pour nous de rester intègres, d’avoir de la distance avec nos affects et nos émotions. Il ne s'agit pas d'effacer le bien qu'a fait jean Vanier, il s'agit pour le moment de mieux comprendre cet héritage. Cette histoire nous met radicalement en face de nos propres misères, de nos propres fragilités. Un nouveau chemin pour L'Arche s'est sans doute ouvert à partir de notre désir de chercher la vérité dans cette douloureuse affaire.
Crédit photo : © L'Arche / Pauline Dejoie