Depuis plusieurs années, l’émergence de nouvelles formes d’habitats inclusifs pour les personnes vulnérables stimule et fait mûrir le projet initial de L’Arche. Alors que le cadre posé par la loi ELAN* entre peu à peu en application, entraînant questionnements et débats, quelle est la vision de L'Arche sur l’inclusion des personnes en situation de handicap mental ?
Entretien avec Catherine de Salins, Secrétaire nationale de L’Arche en France depuis septembre 2018.
En quoi L’Arche porte-t-elle un regard singulier sur la manière d’habiter des personnes handicapées mentales ?
Depuis le début, le projet de L’Arche est de faire vivre sous le même toit des personnes avec et sans handicap mental. Cette vie quotidienne est partagée par chacun en fonction de ses capacités, et en ce sens, les personnes handicapées qui vivent à L’Arche sont bien des « habitantes » de leur foyer. Avant d’être « hébergées », elles sont en premier lieu chez elles, membres d’une communauté et contributrices à son bon fonctionnement. L’expérience nous a montré qu’avec un accompagnement ajusté, bienveillant et à l’écoute, dans un environnement qui favorise l’autonomie mais sans la solitude, les personnes en situation de handicap mental peuvent être aussi chez elles dans la société.
Quels sont les fondements, les principes que défend L’Arche sur l’inclusion ?
Pour L’Arche, l’inclusion par l’habitat, c’est proposer non seulement un lieu de vie mais aussi un espace qui permette d’être en relation, de tisser des liens d’amitié, de s’exprimer et d’être entendu, dans les conditions les plus adaptées à chacun. Inclure, c’est reconnaître les différences et l’altérité, ce n’est pas chercher à les gommer. Dit cela, cette inclusion par l’habitat peut prendre plusieurs formes et s’adapter aux réalités et aux besoins. Dès 2007, L’Arche se donnait notamment pour mission de « développer un environnement communautaire qui réponde aux besoins changeants de [ses] membres, en demeurant fidèle aux valeurs essentielles de [son] histoire fondatrice » (Énoncé Identité et Mission). Il y a donc une vraie volonté, au sein des communautés existantes et des groupes porteurs de projets de répondre à la volonté des plus jeunes de vivre en habitat plus autonome, mais aussi aux souhaits des membres plus âgés de rester le plus longtemps possible dans leur communauté. Les aspirations sont multiples !
En quoi la loi Elan de 2018 rejoint-elle la vision de L’Arche sur l’inclusion ?
Les textes de la loi ELAN* consacrés à l’habitat inclusif sont une véritable confirmation de l’intuition fondatrice de L’Arche : faire de la relation entre les habitants (en situation de handicap ou pas) d’une maison, d’un foyer, le carburant d’une vie plus autonome et plus épanouie. Jugez par vous-même. La loi stipule que l’habitat inclusif « est destiné aux personnes handicapées et aux personnes âgées qui font le choix, à titre de résidence principale, d’un mode d’habitation regroupé, entre elles ou avec d’autres personnes (…). [Ce mode d’habitat] est assorti d’un projet de vie sociale et partagée. » Ouvertes depuis 2014 et 2017, les communautés de Nancy, Strasbourg et Dole constituent un précieux atout car elles sont l’illustration que L’Arche a un savoir-faire dans la gestion de projets et l’ouverture de communautés selon ces nouveaux modèles.
Quels sont les risques et les difficultés que pourrait rencontrer L’Arche pour conserver et développer son projet ?
L’élargissement de l’offre d’habitat prévu par la loi, en complément aux réponses apportées par le secteur médico-social, s’inscrit à n’en pas douter dans les missions de L’Arche. Il convient cependant de veiller à ce que ces dispositifs permettent de répondre aux besoins des personnes handicapées. Des solutions uniquement fondées sur le libre-choix des habitants ne sauraient satisfaire leurs besoins de relations stables et gratuites. Depuis 2005 et la mise en oeuvre de la PCH (Prestation de compensation du handicap), les expérimentations misant sur la mise en commun de cette prestation individuelle se sont multipliées sur le territoire. La PCH est un outil de qualité, puisqu’elle permet de fédérer, au sein d’un même projet, des personnes d’âges et de profils variés, en proposant le niveau d’accompagnement véritablement adapté à chacun des habitants. Ça, c’est pour la théorie. En pratique, les projets de L’Arche sont souvent pénalisés par une prise en compte insuffisante des besoins d’accompagnement des personnes qui ont la possibilité de travailler en ESAT ou en milieu ordinaire.
*Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique