Fabriquer ses produits ménagers, une démarche d’écologie intégrale ?
– Entretien avec Leandro Serrat, responsable de l’hébergement à L’Arche de Cuise
Depuis plusieurs années, L’Arche de Cuise fabrique ses propres produits ménagers. Cette activité qui, au départ, ne constituait qu'en la fabrication d’un simple nettoyant multi-fonctions, est devenue aujourd’hui un atelier hebdomadaire du centre d’accueil de jour d'une journée entière. L'atelier fournit toute la communauté – et parfois au-delà – en lessive, nettoyant WC, savon pour le sol et autres produits. Cette démarche écologique est devenue peu à peu une formidable réussite inclusive, porteuse de sens, source de fierté pour les personnes en situation de handicap et vecteur de cohésion pour toute la communauté.
D’où vient cette démarche de L’Arche de Cuise ?
C’était en 2013, alors que j’étais volontaire. Il y avait plusieurs cas d’allergies dans la communauté, et notamment Irma, notre cuisinière. L’inhalation d’eau de Javel lui donnait des allergies cutanées, mais malheureusement, elle était obligée d’en utiliser pour le nettoyage de sa cuisine. Elle n’avait pas d’autre choix que de subir cette allergie. Une réflexion s’est développée autour de produits d’entretiens : ne fallait-il pas trouver une alternative pour les peaux allergiques ? En parallèle, à l’époque, chaque foyer achetait ses produits ménagers. L’idée de la mutualisation des achats s’est ajoutée à la préoccupation pour le bien-être : on se disait qu’on générerait des économies avec des commandes de groupe, et que l’hygiène globale serait plus cohérente. Et puis, à force d’en parler, on s’est dit que ça serait peut-être plus économique et écologique de les produire nous-mêmes.
Avec une assistante du foyer, nous avons développé un projet : nous avons trouvé sur internet une recette de grand-mère pour un produit nettoyant multi-usages. Nous l’avons préparé et testé au foyer d’abord, puis auprès d’Irma, la cuisinière. Verdict : ça fonctionnait, plus d’allergies avec le multi ! Ensuite, on a travaillé à déployer cette initiative en direction de toute la communauté. Pour que ça prenne, il fallait que tout le monde joue le jeu. Alors, avec le soutien de l’équipe de direction, on a préparé pour un lancement « officiel ». Ce jour-là, chaque foyer ou atelier a reçu un ou deux bidons pour tester le multi made in Cuise. Cela a été bien accueilli : c’était le bon moment, les gens étaient prêts.
Finalement, ça semble assez facile ?
Ah ! Oui mais, après ce départ en fanfare, il y avait encore beaucoup de questions. Premièrement, il fallait en faire quelque chose de pérenne. On a assez vite vu que l’enjeu économique n’en était pas un : ça ne coûte pas tellement moins cher de produire soi-même ses produits ménagers. Restait la question du bien-être et aussi de l’environnement. Après mon volontariat, je suis devenu salarié, responsable d’un atelier au "Puits" (le centre d’activité de jour). Je me disais qu’une telle activité de production pourrait être adaptée aux personnes du CAJ. Alors avec Sandra, une assistante, on a travaillé à rendre l’activité plus pédagogique. En fait, il s’agit de compter, remuer, transvaser… Et ça marche ! Jean-Jacques, Guillaume, Fabien et les autres participants de l'atelier ont appris à faire du multi et même d’autres produits dont on a entamé la fabrication. C’est une activité dont ils sont fiers et qui a beaucoup de sens pour eux : c’est le produit de leurs mains, dont l’utilité est évidente pour tous.
Il y avait aussi la question des normes d’hygiène. Est-ce qu’un produit fabriqué par nos soins d’après une recette trouvée sur internet a la même efficacité qu’un produit acheté dans le commerce ? L’Agence régionale de santé (ARS) ne voyait pas de contre-indication à notre démarche, sous réserve qu’on puisse confirmer l’efficacité du produit. Nos tests sur les colonies de bactéries ont révélé que les produits fonctionnent très bien ! Mais cela nous a aussi montré l’importance des consignes d’utilisation et la nécessité de devoir laisser le produit agir un certain temps. Un jour, une volontaire est arrivée dans la communauté après quatre ans d’études en chimie. Nous lui avons demandé son avis sur la composition de nos produits et notamment sur leur efficacité à plus ou moins long-terme. On craignait qu’au bout de quelques jours, tel composant chimique annihile les propriétés d’un autre, réduisant ainsi le pouvoir désinfectant du produit. Sur ses suggestions, nous avons encore amélioré nos recettes.
En plus de cela, il faut ajouter l’enjeu de l’adhésion : ce produit convient-il aux utilisateurs ? Passé l’enthousiasme des débuts, il y a eu une petite retombée d’intérêt, d’autant que les produits-maison produisent moins de mousse et n’ont pas l’odeur caractéristique de la Javel ! Nous avons mis en place des temps de formation et des enquêtes de satisfaction – et ensuite adapté les produits en conséquence.
Après huit ans, quels sont les fruits de cette démarche pour la communauté ?
C’est beau de voir le chemin que nous avons parcouru. Cela nous a amené beaucoup plus loin que là où on voulait aller. Assistants, personnes accueillies, participant ou non à la fabrication des produits, nous avons été tous sensibilisés et formés ensemble.
Et pour les jeunes étrangers qui arrivent à Cuise, les étiquettes sur les bidons sont traduites en plusieurs langues !
Cette activité a contribué au rayonnement de L’Arche de Cuise. On nous a beaucoup demandé nos produits et nos recettes ! Ce qu’on s'attache à transmettre, c'est avant tout notre démarche : comment en faire une activité commune. Quelle reconnaissance que de passer le flambeau à l’ESAT de L’Arche dans l’Oise, L’Arche à Lyon, L’Arche Les Trois Fontaines, et même L’Arche à Bruxelles… !
Il est en revanche un peu plus compliqué de répondre à la demande de produits. Plusieurs amis de la communauté, et même le centre spiritituel de L'Arche, La Ferme, ont demandé si on pouvait leur vendre nos produits. On a essayé d’augmenter la production, mais on a touché les limites de ce qu’il est possible de faire en accueil de jour. Au bout d'un moment, les personnes n’en voient plus le sens, ça ne va plus, on s’essouffle.
Un autre fruit qu’on a pu constater, c’est la dynamique dans laquelle cette démarche nous a engagés. On a élargi la gamme des produits. Alix, la responsable de l’atelier, a trouvé un grossiste pour nous fournir en matière première et réduire les emballages ; on a mis en place le recyclage et la récupération des bidons, etc. C’est vraiment une activité féconde, un vecteur de sens notamment pour les personnes accueillies. Cela permet de développer leurs talents, surtout pour celles qui sont en foyer de vie et dont les activités ne sont pas toujours de l’ordre de la production. Quand des personnes extérieures à L’Arche arrivent dans la communauté, elles voient nos produits d’entretien exposés à côté des bougies et autres productions artisanales : ça les ramène à quelque chose de très réel, qui appartient à la « vraie vie ». C’est une manière de dire la vie partagée, une vraie transmission du message de L’Arche et c’est important.
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Fabriquer son propre produit WC -
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