Entretien avec Elena Lasida
Elena Lasida est économiste, spécialiste du développement durable et de l’économie sociale et solidaire (1).
À l'occasion de la COP21, l’avenir de notre planète est au centre des débats. L’épuisement des ressources naturelles est ressenti comme une menace, mais vous prenez le contre-pied en qualifiant notre situation de « chance ». Expliquez-nous.
Face à une limite ou à un manque, ici la raréfaction des ressources, nous voyons d’abord ce que nous perdons. Le constat peut être douloureux mais cela nous force à réagir. Nous pouvons essayer de réduire notre consommation et nous restreindre, pour « faire durer » notre mode de vie le plus longtemps possible. Mais je préfère une autre approche, plus positive, où le manque nous pousse à changer, à inventer un nouveau possible. C’est une chance d’être confrontés à ces limites ! Car sans elles nous resterions dans le « produire plus et consommer plus » sans nous poser de question. Au contraire, aujourd’hui, grâce à la limite écologique nous redécouvrons la valeur de la mutualisation et du collectif. Le succès du covoiturage est un exemple : on respecte davantage la nature et on crée un nouvel espace pour tisser des liens... Transformer un avenir qui semble menaçant en promesse, ça donne du dynamisme !
Vous osez aussi un parallèle étonnant entre la question écologique et le handicap...
Oui, je fais ce parallèle parce que l’écologie et le handicap se ressemblent dans l’expérience de la fragilité et du manque. La personne handicapée physique ou mentale expérimente des limites. Et confrontée à elles, je dirais même à partir d’elles, la personne cherchera comment faire autrement, elle créera quelque chose de nouveau. Tout comme notre société devra inventer pour relever le défi écologique. La limite rend créatif.
Il faut effectivement de l’inventivité pour dépasser les limites. Avez-vous des exemples d’innovations nées de l’expérience du handicap à L’Arche ?
Le premier exemple de créativité de L’Arche auquel je pense est son système de gouvernance. Les décisions importantes ne sont pas prises par vote, comme dans d’autres associations. Le vote a été remplacé par des étapes de discernement, sous la forme de nombreux échanges individuels ou en petits comités. Ce processus permet de décider collectivement, et me semble beaucoup plus démocratique que le vote !
Un autre exemple est le changement de paradigme qu’initie L’Arche. Par la grande place donnée à la fête et à la célébration, c’est la valeur du « non-productif » qui est mis à l’honneur. Jean Vanier, le fondateur de L’Arche parle de la « valeur de la simple présence ». On sort de l’habitude du « quantitatif ». Les personnes avec un handicap prennent du temps dans « l’être » plus que dans le « faire », habitent le moment présent, alors qu’aujourd’hui la rapidité est devenue la valeur absolue.
Et il y aurait encore beaucoup d’autres illustrations de la grande créativité de L’Arche ! »
(1) Elena Lasida est également chargée de mission à la Commission «Justice et Paix » et professeur à l’Institut Catholique de Paris.