Chaque année, des membres de la communauté L’Arche le Caillou Blanc partent « en chantier* » à l’étranger avec des groupes de jeunes volontaires. Il en ressort des fruits exceptionnels de joie et de partage. Nous sommes allés à la rencontre de Bertrand, fondateur de la communauté, Léo, volontaire dans les chantiers et porteur d’un handicap mental, et Charlotte, responsable de la « mission jeunes* » au Caillou Blanc. Ils nous livrent leurs impressions et une réflexion sur la solidarité. Interview.
Léo : Moi c’est Léo, j’ai 29 ans, j’habite au foyer Ty Lévenez à L’Arche le Caillou Blanc près de Quimper. Autrement, j’aime beaucoup la musique, ça c’est vrai, c’est un truc que j’adore !
Bertrand : Ça fait 35 ans que je partage ma vie avec les Princes du Royaume [les personnes avec un handicap, NDLR] et, après 35 ans, ils continuent à m’enseigner ;
Au Caillou Blanc, ça fait 25 ans que tous les ans nous partons entre 3 semaines et 2 mois faire des chantiers dans les pays de l’Est : Slovénie, Pologne, Roumanie, Albanie. Donc il y a un lien qui existe depuis longtemps. D’années en années, on a été tellement bien accueillis qu'on on a senti qu’il fallait qu’on revienne. C’est pour ça que, 14 ans après, on y est toujours.
Léo, est-ce que tu pourrais nous raconter ce que tu as vécu là-bas ?
Léo : La 1re fois que je suis allé, je me suis dit : « J’aimerais vraiment aller en Albanie pour faire un chantier, pour rendre service quoi ». C’était vraiment sympa, j’ai beaucoup aimé.
J’avais pas juste envie de rencontrer des gens là-bas, j’avais vraiment envie de passer un temps pour aider, juste être présent pour aider à faire des choses importantes je trouve.
Aider les autres, c’est une chose à laquelle tu penses souvent dans la vie, c’est quelque chose qui te motive ?
Léo : Bah ouais, autrement je pense que je serais pas à L’Arche. Parce que s’entraider c’est quand même vachement important. Qu’on soit blanc ou noir, ou peu importe. Si on s’entraide pas, la vie va pas aller loin.
[Par exemple] si on considère que les SDF sont des personnes avant tout, je pense que la vie déjà pourrait avancer. Parce que moi, quand j’étais plus jeune, je prenais le train tous les jours et je voyais des SDF à la gare à Quimper et la première chose que je faisais le matin c’était d’aller les voir ; pour discuter, pour prendre du temps avec eux, parce que je trouve ça important… ouais, vachement important.
Peux-tu me raconter ce que tu faisais concrètement sur les chantiers en Albanie ?
Léo : En fait, je suis venu la dernière semaine et on est allés poser un portail chez une famille qui a 2 enfants handicapés et dont le père est mort il y a 2 ans d’un cancer. Quand tu vois les gens qui t’accueillent comme une personne unique et qui sont super ravis que tu viennes les aider, tu n’as qu’une envie : te motiver et te dire « cette famille on va l’aider, ça fait super plaisir. »
Bertrand : On a aussi fait une rambarde dans le foyer, et construit des lits superposés. Tout ce qu’on sait faire [ndlr : menuiserie, ébenisterie, bûcheronnage font partie des activités principales de l'ESAT de L'Arche le Caillou Blanc], on le fait avec les jeunes, les gens du Caillou Blanc et nos amis albanais qui sont sur place.
Charlotte, en tant que responsable de la « mission jeune » quelles sont tes impressions ?
Charlotte : Ça fait 14 ans que je suis témoin des gens qui rentrent des chantiers. C’est quand même très étonnant et très impressionnant de sentir comment les jeunes, nos assistants et nos personnes [accueillies] y compris, sont vraiment bousculés voire bouleversés parce que qu’ils ont vécu là. [… ] c’est sûr qu’il se passe quelque chose d’important là-bas, qui m’échappe un peu d’ailleurs mais quelque chose d’important.
On accueille beaucoup de jeunes tout au long de l’année au Caillou Blanc et c’est vrai que beaucoup nous disent « ça mais c’est quoi cette joie, elle vient d’où cette joie ? », alors qu’ils voient bien qu’il y a quand même beaucoup de souffrance [chez les personnes handicapées] mais, magré tout, ils donnent cette joie-là. Je crois que ça touche beaucoup les jeunes.
Sur la joie/le bonheur dont vous parlez, l’année dernière au Japon, à Sagamihara, dans un centre pour personnes handicapées mentales, un homme a assassiné des personnes handicapées prétextant qu'elles « n’apportent que du malheur ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Bertrand : C’est le manque d’amis qui fait qu’on peut dire des choses aussi énormes que ça, que c’est « que du malheur ».
Léo : Moi ça me choque. Je me dis mais qu’est-ce qui se passe dans sa tête ? Je trouve ça quand même triste de faire ça, de tuer des gens parce que voilà, il a un problème dans sa tête, je pense. Il a pas réussi à trouver le bonheur et donc ça doit être dur pour lui de se dire que des personnes comme des personnes handicapées peuvent avoir de la joie du bonheur de l’amour... Voilà quoi.
* La « mission jeunes » consiste en la diffusion du message de L’Arche auprès des jeunes. Concrètement à L’Arche le Caillou Blanc, il s’agit d’accueillir des groupes de jeunes pour quelques semaines pendant lesquelles ils accomplissent des travaux manuels en compagnie de personnes ayant un handicap mental.